Définition et histoire

La définition du patrimoine industriel (matériel et immatériel) a fait l’objet d’un texte de référence, la Charte Nizhny Tagil, promulguée en 2003 par The International Committee for the Conservation of the Industrial Heritage, seule organisation internationale dans ce domaine, reconnue comme expert par l’Icomos et l’Unesco.


En 2011, dans les Principes conjoints ICOMOS‐TICCIH pour la conservation des sites, constructions, aires et paysages du patrimoine industriel, dits “Principes de Dublin”, ICOMOS et TICCIH convenaient de cette définition :

“Le patrimoine industriel comprend les sites, les constructions, les complexes, les territoires et les paysages ainsi que les équipements, les objets ou les documents qui témoignent des procédés industriels anciens ou courants de production par l’extraction et la transformation des matières premières ainsi que des infrastructures énergétiques ou de transport qui y sont associées. Il exprime une relation étroite entre l’environnement culturel et naturel puisque les procédés industriels – anciens ou modernes – dépendent de ressources naturelles, d’énergie et de voies de communication pour produire et distribuer des biens sur les marchés. Ce patrimoine comporte des dimensions immatérielles comme les savoir‐ faire techniques, l’organisation du travail et des travailleurs ou un héritage complexe de pratiques sociales et culturelles résultant de l’influence de l’industrie sur la vie des communautés et sur la mutation des sociétés et du monde en général.“

 

CHARTE NIZHNY TAGIL POUR LE PATRIMOINE INDUSTRIEL

Juillet 2003

TICCIH est le comité international pour la conservation du patrimoine industriel et le conseiller pour ICOMOS dans ce domaine.

Préambule

Les périodes les plus anciennes de l'histoire humaine sont connues par des vestiges archéologiques témoignant des changements fondamentaux concernant les procédés de fabrication des objets de la vie quotidienne. L'importance de la conservation et de l'étude des preuves de ces changements est universellement acceptée.

Développées à partir du Moyen Âge en Europe, des innovations dans l'utilisation de l'énergie ainsi que dans le commerce ont conduit vers la fin du XVIIIe siècle, à des changements aussi fondamentaux que ceux ayant eu lieu entre le Néolithique et l'Âge du Bronze. Ces changements ont généré des évolutions sociales, techniques et économiques des conditions de production, suffisamment rapides et profondes, pour que l'on parle de Révolution. La Révolution industrielle a été le commencement d'un phénomène historique qui se poursuit de nos jours et qui a profondément marqué une grande partie de l'humanité, ainsi que toutes les autres formes de vie sur notre planète.

Les traces matérielles de ces profonds changements sont de valeur humaine universelle et l'importance de leur étude et de leur conservation doit être reconnue.

Les délégués réunis en Russie lors du Congrès 2OO3 du TICCIH souhaitent donc affirmer que les bâtiments et les structures construits pour des activités industrielles, les processus et les outils utilisés, les villes et les paysages dans lesquels ils sont situés ainsi que toutes leurs autres manifestations, tangibles et intangibles, sont d'une importance fondamentale. Ils devraient être étudiés, leur histoire devrait être enseignée, leur sens et leur signification devraient être explorés et clarifiés pour tous. Les exemples les plus caractéristiques devraient être identifiés, protégés et conservés, en accord avec l'esprit de la Charte de Venise [1], au service et au profit du présent et de l'avenir .

1. Définition du patrimoine industriel

Le patrimoine industriel comprend les vestiges de la culture industrielle qui sont de valeur historique, sociale, architecturale ou scientifique. Ces vestiges englobent : des bâtiments et des machines, des ateliers, des moulins et des usines, des mines et des sites de traitement et de raffinage, des entrepôts et des magasins, des centres de production, de transmission et d'utilisation de l'énergie, des structures et infrastructures de transport aussi bien que des lieux utilisés pour des activités sociales en rapport avec l'industrie (habitations, lieux de culte ou d'éducation).

L'archéologie industrielle est une méthode interdisciplinaire qui étudie toutes les preuves, matérielles et immatérielles, les documents, les artefacts, la stratigraphie et les structures, les implantations humaines et les paysages naturels et urbains créés pour ou par des processus industriels. [2] Elle se sert des méthodes les mieux appropriées pour accroître la compréhension du passé et du présent industriel.

La période historique la plus intéressante pour cette étude s'étend des débuts de la Révolution industrielle, c'est-à-dire de la deuxième moitié du XVIIIe siècle jusqu'à aujourd'hui, sans négliger ses racines pré et proto-industrielles. De plus elle s'appuie sur l'étude des techniques et des savoirs faire.

2. Valeurs du patrimoine industriel

I. Le patrimoine industriel est le témoignage des activités qui ont eu et qui ont encore des conséquences historiques profondes. Les raisons de protéger le patrimoine industriel sont fondées sur la valeur universelle de cette trace plutôt que sur la singularité de sites exceptionnels.

II. Le patrimoine industriel revêt une valeur sociale faisant revivre des vies d'hommes et de femmes ordinaires et en leur donnant un sens identitaire important. Dans l'histoire de l'industrie, de l'ingénierie, de la construction, il a une valeur scientifique et technique. Il peut aussi avoir une valeur esthétique pour la qualité de son architecture, de son design ou de sa conception.

III. Ces valeurs sont intrinsèques au site lui-même, à ses structures, à ses composants, à ses machines, à son paysage industriel, à sa documentation et aux souvenirs intangibles de la mémoire des hommes et de leurs coutumes.

IV. La rareté, en termes de survivance de savoir faire particuliers, de typologie des sites ou de paysages, ajoute une valeur particulière et devrait être soigneusement évaluée. Les exemples les plus anciens ou pionniers ont une valeur spéciale.

3. Importance de l'identification, de l'inventaire et de la recherche.

I. Toutes les collectivités territoriales devraient identifier, inventorier et protéger les vestiges industriels qu'ils veulent préserver pour les générations futures.

II. Des relevés de terrain et l'élaboration de typologies industrielles devraient permettre de connaître l'ampleur du patrimoine industriel. En utilisant ces informations, des inventaires de tous les sites identifiés devraient être réalisés. Ils devraient être conçus pour être d'accès facile et libre pour le public. L'informatisation et l'accès en ligne sur Internet sont des objectifs majeurs.

III. L'inventaire est une partie fondamentale de l'étude du patrimoine industriel. L'inventaire complet des caractéristiques physiques et environnementales d'un site devrait être réalisé et conservé dans des archives publiques, avant toute intervention. De nombreuses informations peuvent être obtenues si l'inventaire est effectué avant la fin d'un processus ou la fermeture d'un site. Les inventaires devraient inclure des descriptions, des dessins, des photographies, et un film vidéo de l'usine en fonctionnement, avec les références des sources documentaires existantes. Les enquêtes orales sont une source unique et irremplaçable. Elles devraient aussi être enregistrées et conservées.

IV. La recherche archéologique sur les sites industriels anciens est une technique fondamentale pour leur étude. Elle devrait être portée au même niveau de rigueur que lorsqu'elle s'applique autres périodes historiques.

V. Des programmes de recherche historique sont nécessaires pour soutenir les politiques de protection du patrimoine industriel. A cause de l'interdépendance de nombreuses activités industrielles, des études internationales peuvent aider à identifier des sites et des types de sites d'importance mondiale.

VI. Les critères d'évaluation de la qualité des bâtiments industriels devraient être définis et publiés afin que le public puisse avoir connaissance de normes rationnelles et cohérentes. Sur la base d'une recherche appropriée, ces critères devraient être utilisés pour identifier les paysages, les établissements, les sites, les types d'implantation , les bâtiments, les structures, les machines et les processus subsistants les plus importants.

VII. Ces sites et structures identifiés comme importants devraient être protégés par des mesures légales suffisamment fortes pour assurer leur conservation. La Liste du Patrimoine Mondial de l'UNESCO devrait donner une légitime reconnaissance à l'impact considérable que l'industrialisation a eu sur la culture humaine.

VIII. La valeur des sites significatifs devrait être définie et des directives pour de futures interventions devraient être imposées. Les mesures légales, administratives et financières, qui sont nécessaires pour conserver leur authenticité devraient être mises en place.

IX. Les sites menacés devraient être identifiés de telle sorte que des mesures appropriées puissent être prises pour réduire ce risque et faciliter les projets de restauration et de réutilisation.

X. La coopération internationale est une approche particulièrement favorable à la conservation du patrimoine industriel au moyen d'initiatives coordonnées et de ressources partagées. Des critères devraient être élaborés pour mettre en commun des inventaires et des banques de données internationaux.

4. Protection légale

I. Le patrimoine industriel devrait être considéré comme une partie intégrante du patrimoine culturel en général. Néanmoins, sa protection légale devrait prendre en compte sa nature spécifique. Elle devrait être capable de protéger les usines et leurs machines, leurs éléments souterrains et leurs structures au sol, les ensembles de bâtiments, ainsi que les paysages industriels. Les zones de déchets industriels et les friches devraient être protégés pour leur potentiel archéologique et pour leur valeur écologique.

II. Les programmes pour la conservation du patrimoine industriel devraient être intégrés dans les politiques économiques de développement et dans la planification régionale et nationale.

III. Les sites majeurs devraient être complètement protégés et aucune intervention, compromettant leur intégrité historique ou l'authenticité de leur construction, ne devrait être autorisée. L'adaptation et la réutilisation peuvent être une façon appropriée et rentable d'assurer la survivance de bâtiments industriels et elle devrait être encouragée par des contrôles légaux adaptés, des conseils techniques, une fiscalité incitative et des subventions.

IV. Les communautés industrielles qui sont menacées par un rapide changement structurel devraient être soutenues par les autorités locales et gouvernementales. Les éventuelles menaces envers le patrimoine industriel provenant de tels changements devraient être anticipées et des plans devraient être préparés pour éviter le recours aux mesures d'urgence.

V. Des procédures devraient être établies pour répondre rapidement aux fermetures de sites industriels importants, pour empêcher le déplacement ou la destruction de leurs éléments significatifs. Le cas échéant, les autorités compétentes devraient avoir des pouvoirs légaux pour intervenir afin de protéger ces sites.

VI. Les gouvernements devraient posséder des organismes de consultation spécialisés pouvant donner des conseils indépendants sur les questions relatives à la protection et la conservation du patrimoine industriel, et leur avis devrait être sollicité dans tous les cas importants.

VII. Tous les efforts devraient être faits pour assurer la consultation et la participation des communautés locales à la protection et la conservation de leur patrimoine industriel. VIII. Les associations et les sociétés de bénévoles jouent un rôle important en identifiant les sites, en favorisant la participation du public à leur conservation et en diffusant l'information et la recherche; ils sont des acteurs indispensables.

5. Maintenance et conservation

I. La conservation du patrimoine industriel dépend de la préservation de l'intégrité fonctionnelle du site, et les interventions sur un site industriel devraient viser à maintenir cette intégrité autant que possible. La valeur et l'authenticité d'un site industriel peuvent être fortement réduites si les machines sont retirées ou si des éléments secondaires faisant partie de l'ensemble sont détruits.

II. La conservation des sites industriels requiert une connaissance approfondie du ou des buts pour lesquels ils ont été créés et des différents processus industriels qui ont pu s'y développer. Ceux-ci peuvent avoir changé avec le temps, mais toutes les anciennes utilisations devraient être examinées et évaluées.

III. On devrait toujours donner la priorité à la conservation in situ. Le démantèlement et le replacement (transfert ?) d'un bâtiment ou d'une structure ne sont acceptables que lorsque la destruction du site est exigée pour des besoins économiques ou sociaux impératifs.

IV. L'adaptation d'un site industriel à un nouvel usage pour en assurer la conservation est en général acceptable sauf le cas de sites ayant une importance historique particulière. Les nouvelles utilisations devraient respecter le matériel spécifique et les schémas originaux de circulation et de production en étant autant que possible compatibles avec l'usage antérieur. L'aménagement d'un lieu évoquant l'ancienne activité est recommandé.

V. Continuer à adapter et à utiliser des bâtiments industriels évite des pertes d'énergie et contribue à pérenniser le développement économique. Le patrimoine industriel peut jouer un rôle important dans la régénération de régions sinistrées ou en déclin. La continuité que le réemploi implique peut fournir un équilibre psychologique aux communautés confrontées à la perte soudaine d'emplois durables.

VI. Les interventions sur les sites devraient être réversibles et avoir un minimum d'impact. Tous les changements inévitables et les suppressions d'éléments significatifs devraient être inventoriés, enregistrés et stockés en lieu sûr. De nombreux processus industriels confèrent un cachet spécifique qui imprègne le site et lui donne tout son intérêt.

VII. La reconstruction ou le retour à un état antérieurement connu devrait être considéré comme une intervention exceptionnelle qui n'est appropriée que si elle renforce l'intégrité de l'ensemble du site, ou si elle est envisagée dans le cas de la destruction d'un site majeur par acte de violence. VIII. Les savoir-faire impliqués dans de nombreux processus industriels, anciens ou obsolètes, sont des sources d'importance capitale dont la perte peut être irremplaçable. Elles doivent être soigneusement enregistrées et transmises aux jeunes générations.

6. Education et formation

I. Une formation professionnelle spécialisée traitant des aspects méthodologiques, théoriques et historiques du patrimoine industriel devrait être créée dans les instituts de technologie et les universités.

II. Un matériel pédagogique spécifique concernant le passé industriel et sa transmission devrait être élaboré pour les élèves des niveaux primaire et secondaire.

7. Présentation et interprétation

I. L'intérêt et l'attachement du public pour le patrimoine industriel et l'appréciation de sa valeur sont les plus sûrs moyens d'assurer sa conservation. Les autorités publiques devraient activement expliquer le sens et la valeur des sites industriels à travers des publications, des expositions, des émissions télévisées, Internet et les autres médias. Elles devraient fournir des accès permanents aux sites importants et promouvoir le tourisme dans les régions industrielles.

II. Les musées industriels et techniques spécialisés ainsi que les sites industriels préservés sont des moyens importants de protection et d'interprétation du patrimoine industriel.

III. Les « routes » régionales et internationales du patrimoine industriel peuvent promouvoir l'étude des transferts de technologies et entraîner un afflux du public intéressé par une nouvelle approche du patrimoine industriel.

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[1] La Charte devrait admettre des chartes importantes préalables comme celle de Venise (1964) et de Burra (1994) ainsi que la Recommandation R(90) 20 du Conseil de l'Europe.

[2] Pour faciliter la compréhension, le mot « sites » sera utilisé pour parler de paysages, installations, bâtiments, structures et machines à moins que ces termes ne soient utilisés d'une manière plus spécifique.